Les prix du gaz en Europe ont battu un nouveau record
La hausse a dépassé 20% en une journée. Depuis un an, les prix du gaz ont été multipliés par dix. Un choc comparable à celui du choc pétrolier de 1973. Dans la foulée, les prix de gros de l’électricité ont aussi atteint mardi des sommets historiques.
Le cours du gaz en Europe ont atteint un nouveau niveau record le 21 décembre au premier jour de l’hiver. Ils sont dopés par plusieurs facteurs: la crainte d’une vague de froid, la faiblesse des stocks et les tensions grandissantes entre le principal fournisseur du continent, la Russie, et ses clients au sujet de l’Ukraine. «Le gaz naturel européen poursuit son inexorable ascension», soulignent les analystes de la Deutsche Bank, du fait de «températures qui continuent à baisser en Europe» et de «l’absence de réservation par Gazprom de capacités supplémentaires en janvier pour le gaz passant par l’Ukraine». Le géant gazier russe Gazprom fournit environ un tiers du gaz naturel consommé en Europe.
Le cours européen de référence, le TTF néerlandais, a gagné mardi en une journée plus de 22% pour s’installer à 180,267 euros le mégawattheure (MWh), après un pic à 187,785 euros. Le prix du gaz britannique pour livraison en janvier a connu une hausse comparable à 451,72 pences par thermie (une unité de quantité de chaleur), après avoir culminé en séance à 470,83 pences. Pour donner un ordre d’idée, ces cours sont dix fois supérieurs aux prix observés il y a un an.
Et dans la foulée, les prix de l’électricité ont aussi atteint des sommets en Europe. Sur les marchés de gros, pour une livraison à douze mois, ils ont dépassé mardi 21 décembre 350 euros du mégawattheure. Un record historique. En moins de deux mois, les cours ont doublé. Et sur six mois, la hausse atteint 400%.
Les menaces se succèdent entre la Russie et l’Europe
La pénurie de gaz dans le monde affecte aujourd’hui avant tout l’Asie et l’Europe. Les stocks de gaz en Europe sont particulièrement bas pour cette période de l’année du fait à la fois d’un hiver prolongé et rigoureux en 2020 et d’un approvisionnement insuffisant ensuite. A cela s’ajoute un apport réduit des énergies renouvelables notamment des éoliennes du fait d’un manque de vent tout au long de l’année 2021.
Mais l’accélération de la hausse des cours, de plus de 90% depuis le début du mois de décembre, tient surtout au regain de tensions à la frontière entre la Russie et l’Ukraine. Le président russe Vladimir Poutine a menacé mardi les pays occidentaux d’une réponse «militaire et technique» s’ils ne mettent pas fin à leur politique jugée menaçante. Pour le Kremlin, les Etats-Unis et l’Otan renforcent leur présence aux frontières russes en armant l’Ukraine et en la soutenant politiquement.
Les Occidentaux accusent Moscou depuis plusieurs semaines d’avoir massé pas moins de cent mille hommes et un matériel militaire considérable à la frontière avec l’Ukraine et de préparer une invasion après avoir déjà annexé en 2014 une partie de son territoire (la Crimée et l’est du Donbass). Le changement de ton en Allemagne a manifestement été très mal reçu au Kremlin. Berlin a averti il y a quelques jours que la mise en service du gazoduc Nord Stream 2 (voir photographie ci-dessus) reliant directement la Russie à l’Allemagne ne pouvait avoir lieu compte tenu des tensions à la frontière ukrainienne.
Le nouveau gouvernement allemand moins conciliant qu’Angela Merkel avec Moscou
D’ores et déjà, l’entrée en service du gazoduc a été retardée du fait que son exploitation ne respecte pas les directives européennes sur l’énergie. Nord Stream 2 n’est pas seulement un gazoduc de plus, c’est aussi une arme politique. Il permet de contourner l’Ukraine, voie de transit utilisée actuellement pour une bonne partie du gaz russe acheté par l’Union européenne. Long de 1.200 kilomètres, il passe sous les eaux de la Baltique, de la Russie au nord-est de l’Allemagne, et a toujours été défendu par l’ancienne chancelière conservatrice Angela Merkel qui a toujours cherché à ménager Moscou.
Le nouveau gouvernement allemand dirigé par le social-démocrate Olaf Scholz se montre nettement moins conciliant avec la Russie. Le ministre de l’Economie allemand, l’écologiste Robert Habeck, a mis en garde la semaine dernière contre de «sévères conséquences» pour le gazoduc en cas d’agression de la Russie contre l’Ukraine. La nouvelle cheffe de la diplomatie allemande, Annalena Baerbock, avait menacé Moscou le 12 décembre «d’arrêt» pur et simple de Nord Stream 2 en cas d’escalade en Ukraine.
La décision de certification de Nord Stream 2 par le régulateur allemand n’est pas attendue avant mi-2022. Et elle est loin d’être acquise. Selon les directives européennes sur l’énergie, les fournisseurs de l’Europe ne peuvent contrôler à la fois les produits livrés et l’infrastructure de livraison. Or c’est le cas de Gazprom avec Nord Stream 2. Pour contourner cette difficulté, le président russe Vladimir Poutine a demandé il y a quelques jours à Rosneft de présenter rapidement un projet de livraison de gaz à l’Europe. Jusqu’à aujourd’hui, Gazprom a le monopole des exportations russes de gaz et contrôle les gazoducs. Ouvrir les gazoducs de Gazprom à Rosneft permettrait à la Russie de se conformer aux directives européennes.
La Russie se sert de l’arme du gaz
Le géant public Rosneft (dont le compagnie pétrolière britannique BP détient près de 20% du capital) est le premier groupe pétrolier russe. Igor Setchine, patron de Rosneft et proche de Vladimir Poutine, a demandé plusieurs fois au président russe de lever le monopole de Gazprom sur les livraisons de gaz à l’Europe.
Très clairement, la Russie se sert de l’arme du gaz pour faire pression sur l’Europe. Au cours des mois d’octobre et de novembre, les importations de gaz russe par l’Union Européenne ont été inférieures de 25% à celle de la période correspondante de 2020. Par ailleurs, les stocks de Gazprom en Europe sont «nettement inférieurs» à ceux mesurés l’an dernier, affirme un document transmis aux Etats membres par la Commission Européenne. Ce document propose d’instaurer un mécanisme permettant aux pays membres de l’Union de réaliser des achats groupés de gaz naturel pour constituer des réserves stratégiques.