Des chercheurs tourangeaux ont prouvé, pour la première fois, le lien statistique entre exposition professionnelle aux pesticides et leucémie aiguë myéloïde. D’autres études sont menées pour mieux appréhender les mécanismes moléculaires.
Selon le rapport sur l’environnement en France (acronyme REE), 70 000 tonnes de substances actives ont été vendues sur le territoire national en 2017. Le recours aux pesticides reste une caractéristique du modèle agricole français, comme ailleurs en Europe.
Le terme « pesticide » désigne l’ensemble des produits, chimiques, naturels ou de synthèse, destinés à éliminer ou repousser les organismes jugés nuisibles pouvant causer des dommages lors de la production, du stockage ou de la commercialisation de produits agricoles, de denrées alimentaires, de bois.
Mais y a-t-il un lien statistique entre pesticides et le développement des leucémies aiguës myéloïdes qui sont les plus fréquences et les plus graves chez un adulte, et en particulier chez les agriculteurs ? Une étude parue en 2007 avait suspecté ce lien, mais n’avait pas réussi à le démontrer scientifiquement.
C’est ce que vient de réussir une équipe de chercheurs tourangeaux dirigée par le professeur Olivier Hérault, chef du Service d’Hématologie Biologique du CHU de Tours et Responsable de l’équipe de recherche CNRS ERL7001 LNOx « Niche leucémique et métabolisme oxydatif ».
Une démonstration inédite
Publiée dans la revue Scientific Reports, cette étude de 48 pages (dont la validation a pris 8 mois) repose sur l’analyse des données scientifiques publiées ces 75 dernières années (entre 1946 et 2020) et disponibles dans trois importantes bases de données mondiales publiques.
Cette équipe a réalisé une analyse très fine (ce qu’on appelle des méta-analyses qui obéissent à une charte extrêmement précise des critères dits « PRISMA » – « Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses ») de près de 4 000 patients atteints de leucémie et 10 000 témoins réunis dans 14 publications médicales internationales. Un nombre de patients suffisant pour établir un résultat scientifique.
« Notre analyse rigoureuse a permis de constater un ratio de 1,51 (risque relatif) pour les personnes exposées à de fortes doses de pesticides, soit environ une augmentation de 50 % de développer une leucémie par rapport à une population non exposée. C’est une démonstration inédite, car c’est la première fois que l’on établit clairement le lien entre une exposition forte aux pesticides et l’apparition de leucémies aiguës myéloïdes », explique le professeur Olivier Hérault.
Ce résultat concerne uniquement les leucémies aiguës myéloïdes, un cancer des cellules de la moelle osseuse, qui apparaît surtout chez les adultes, notamment après exposition à des toxiques.
Cette étude a permis de constater que l’augmentation des risques concerne surtout les insecticides, par rapport aux fongicides et les herbicides. Second enseignement : les risques concernent surtout l’Asie et les États-Unis.
Pour s’assurer qu’il s’agit bien d’une réalité clinique, cette étude a repris toutes les données publiques de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) concernant la consommation aux États-Unis des pesticides depuis ces 25 dernières années et elle les a comparées avec l’incidence des leucémies aiguës myéloïdes publiées par le National Institute of Health.
Frequency of acute myeloid leukemia over time together with pesticide usage in the USA. Copyright : Scientific Reports
« Il y a une corrélation entre ces deux courbes. Il y a donc bien un lien, mais il est statistique et notre étude n’a pas porté sur les liens de causalité », précise le professeur Olivier Hérault.
La majorité des patients sont des agriculteurs, mais la leucémie aiguë myéloïde n’est pas encore reconnue comme une maladie professionnelle. « La publication de cette étude va peut-être changer les choses », espère-t-il. Constatant une corrélation avec les « fortes doses », cette étude pourrait également contribuer au débat sur les distances minimales d’épandage, à l’abord des habitations.
Il reste à déterminer les mécanismes moléculaires qui favorisent ces leucémies et comment les empêcher par des mesures de prévention pour les agriculteurs. « Mon équipe de recherche a d’ores et déjà identifié un mécanisme moléculaire et nous publierons ces résultats prochainement », indique-t-il.
Cette équipe s’intéresse aussi aux effets possibles des faibles doses de pesticides et en « particulier les effets cocktails car nous y sommes tous exposés à travers notre alimentation. Nous travaillons sur l’effet cocktail des 7 pesticides les plus présents dans les produits alimentaires selon l’agence européenne des produits de santé (EFSA). Nous sommes en train d’identifier des mécanismes moléculaires et les impacts sur la moelle osseuse. Nous pouvons formuler l’hypothèse que les faibles doses pourraient dans certaines populations favoriser des états pré-leucémiques qui feraient le lit, secondairement, des leucémies aiguës myéloïdes. Or, 40 % de la population des plus de 50 ans a dans sa moelle osseuse des mutations qui pourraient augmenter le risque de faire ces cas pré-leucémiques en vieillissant », déclare le professeur Olivier Hérault.
Ce chef du service d’hématologie biologique tient néanmoins à préciser que ces études ne sont pas contre les pesticides : « Ils sont très utiles pour nourrir la population mondiale car ils permettent des rendements importants et de disposer de produits de qualité sur le plan phytosanitaire ».